A la fin du XIIe siècle, la Corse connaît encore les effets bienfaisants de la domination
pisane.
Trois siècles plus tôt, à l'instigation du Pape, suzerain de l'Ile, les Comtes toscans ont entrepris la libération
de la Corse, qui a connu ensuite une longue période de paix et de renouveau.
La rivalité entre Pise et Gênes, les deux grandes Républiques marchandes de ce temps, rivalité qui ne
prendra fin qu'en 1284 à la Bataille de la Méloria qui marquera la suprématie de Gênes, a des conséquences
directes en Corse.
Après une première tentative, Gênes s'empare définitivement du "Castello di Bonifazio" et entreprend le
repeuplement de la ville par des familles originaires des rivières.
Les nouveaux habitants introduisent, bien sûr, à Bonifacio, leurs us et coutumes et notamment leur langue.
Depuis lors, ce dialecte ligure continue à être parlé à Bonifacio, de même que dans la Ligurie italienne et
jusqu'à Menton et Monaco, de même qu'en Sardaigne où persiste jusqu'à nos jours un îlot ligure à Carlo Forte.
Jusqu'au rattachement de la Corse à la France en 1768, la population bonifacienne était assez isolée du reste de la Corse. Depuis
, ne serait-ce que par la création de routes, de nombreux mariages, d'implantations de
familles corses dans la ville, etc., les Bonifaciens ont noué des relations de plus en plus étroites avec leurs
compatriotes de l'Ile. Ils ont cependant conservé l'usage de leur dialecte d'origine ligure. Certes, celui-ci se
sépare aujourd'hui quelque peu du gênois tel qu'il est parlé à Gênes; il n'en demeure pas moins que les
Bonifaciens, lorsqu'ils ont l'occasion d'aller à Gênes ou même à Menton, sont frappés de voir combien ils
peuvent participer aux conversations dialectales sans effort; il en est de même des Gênois qui viennent jusqu'à
Bonifacio.
Le dialecte bonifacien comporte, par rapport au gênois d'aujourd'hui, un certain nombre d'archaïsmes;
d'autre part, un assez grand nombre de mots d'origine corse ou française se sont introduits dans la langue.
Comme toute langue parlée, le bonifacien évolue donc; son usage demeure répandu et vivant, bien que le
français soit, semble-t-il, davantage parlé à Bonifacio, notamment par les jeunes, que dans les autres villes de
Corse.
Notre but ici est de faire connaître l'originalité de ce dialecte et de fixer dans un modeste document, les
caractères et les particularités du "parler" bonifacien. Telle qu'elle est, cette modeste étude intéressera, nous
l'espérons, les Bonifaciens, et retiendra peut-être l'attention des dialectologues et, à une heure où beaucoup
s'efforcent de rétablir l'usage des langues locales, à faire en sorte que la nôtre, qui a ses titres de noblesse, soit
connue, pratiquée et enseignée. Vers le sommaire
Vocabulaire
S'il est vrai que le dialecte ligure introduit à Bonifacio par la République de Gênes a su conserver à travers les péripéties
et les luttes qu'a connu la Corse, sa phonétique générale a néanmoins subi des modifications notables dans son vocabulaire
par des apports exogènes : Corse ou Français.
Dans le travail qui a été entrepris en vue de l'élaboration d'un Lexique français-bonifacien, nous avons remarqué
qu'un grand nombre de vocables bonifaciens ont le même radical que le corse. Il y a cependant des différences notables
comme le fait apparaître la petite étude qui suit :
COMPARAISON AVEC LE CORSE
- Les voyelles finales sont en principe les mêmes que pour le corse (pas de finales du
pluriel en S ou en X).
- La consonne C du corse tourne souvent en G pour le
bonifacien. Exemple:
bonifacien
corse
AMIGU
AMICU (ami)
FIOGU
FOCU (feu)
- La consonne P du corse passe assez souvent en V pour le
bonifacien. Exemples :
bonifacien
corse
CAVELLI
CAPELLI (cheveux)
CAVU
CAPU (cap)
- La consonne L du corse se transforme parfois en R pour le
bonifacien. Exemples :
bonifacien
corse
GURA
GOLA (gorge)
CANDERI
CANDELLI (chandelles)
- La consonne T de la syllabe finale s'amuit parfois et disparaît totalement dans le
participe passé. Exemples :
bonifacien
corse
MUNÉA
MUNETA (monnaie)
SÉIA
SETA (soie)
AVÜU
AVUTU (participe passé verbe Avoir)
STAU
STATU (participe passé verbe Etre)
ANDAU
ANDATU (participe passé verbe Aller)
AMAU
AMATU (participe passé verbe Aimer)
FAU
FATU (participe passé verbe Faire)
- Les groupes consonnes plus i ont évolué. Exemples :
On pourrait, à priori, l'écrire en dialecte bonifacien qui est difficile, car on dispose de peu de documents pouvant servir de référence.
A la Bibliothèque de l'Université de Montpellier, nous n'avons trouvé aucun vocabulaire de ligure;
nous ne doutons pas que cette étude mériterait d'être reprise et complétée à partir de documents existant, certainement, à Gênes,
et concernant le dialecte parlé dans cette ville, soit de nos jours, soit dans les siècles passés.
Nous savons que tels qu'ils sont parlés aujourd'hui, le gênois et le bonifacien demeurent très proches,
si bien que l'on pourrait compléter la présente étude en s'appuyant sur les travaux dont le dialecte gênois a bénéficié.
Nous n'avons pas pu ni voulons le faire, voulant dans une première étape tout au moins, travailler sans influence, à partir du bonifacien tel que nous avons appris à le parler.
La langue de Gênes a été et demeure écrite. Il y a toute une littérature à laquelle il sera intéressant de se référer,
mais les influences que notre langue a subi de la part du toscan, directement ou par l'intermédiaire du corse,
ou encore du français, font de la langue bonifacienne, quelque chose d'assez particulier :
Nous proposons une écriture en nous basant sur la phonétique française et italienne et également sur les quelques écrits de vieux bonifacien
que nous avons pu consulter. On verra que les propositions que nous avançons tendent à nous rapprocher de la manière d'écrire du corse,
avec un certain nombre de modifications concernant la phonétique. Il est notamment nécessaire de faire les quelques remarques suivantes :
COMPARAISON AVEC LE FRANÇAIS
- L'ACCENT TONIQUE :
De même que pour la langue corse, l'accent tonique, sans lequel un mot n'est pas
reconnaissable, se fait généralement sentir sur l'avant dernière syllabe; dans ce cas, il n'est
pas signalé. - Nous le placerons lorsqu'il sera nécessaire sur les autres syllabes ou voyelles,
et notamment la dernière.
- VOYELLES :
E se lira è Exemple : PERSUNA (personne)
É se lira é " : PERI (poires)
U se lira ou " : TRULA (louche)
Ü lorsqu'il sera surmonté d'un tréma se prononcera u (comme en français).
Exemples : FUNDÜU (profond)
AVÜU (participe passé du verbe Avoir)
CATÜCCIU (vase de nuit)
- CONSONNES :
C placé devant a, o, ü se lira CA, CO, CU
C placé devant e " TSÉ
C placé devant i " TCHI
CC placé devant e, i " TCHÉ, TCHI
G placé devant a, o, ü se lira GA, GO, GU
G placé devant e, i " Jè, JI
G initiale, placé devant e, i " DJè, DJI
GG placé devant e, i " DJè, DJI
Z placé devant a, e, i, o, ü " DZA, DZè, DZI, DZO, DZU
ou TSA, TSè, TSI, TSO, TSU
ZZ ou Z(précédé d'une consonne) se lira TSA, TSè, TSI, TSO, TSU
- LES GROUPES :
CH placé devant e, i, se lit Kè, KI
GH placé devant e, i, se lit GUè, GUI
SC placé devant e, i, se lit CHè, CHI
- DIPHTONGUES :
AN, AM, EN, EM, IN, IM, ON, OM, UN, UM - ces groupes, comme pour le corse, se liront en prononçant toutes les lettres.
ÜN lorsque le u sera surmonté d'un tréma (ün), il devient diphtongue avec son nasal comme un (français), mais avec dominance de la voyelle u.
Exemples : ÜNZI (onze)
NISCIÜN (personne)
DOGNIÜN (chacun).
Les autres diphtongues françaises : AU, AI, EU, ION, IEN, IAN, IUN, UI, OI, OIN, OU se lisent également en prononçant toutes les lettres.
Pas de changement pour les autres lettres de l'alphabet.
- LE GENRE :
Le genre des noms est en général le même que pour la langue corse.
Les noms qui se terminent par U sont masculins.
Les noms qui se terminent par A sont féminins.
Exemples : OMU (homme) - VECCIU (vieux) - ZUVINO (jeune).
DONA (dame) - CASA (maison) - STRADA (route)
Les noms qui se terminent par I au singulier sont du masculin ou du féminin.
Exemples : U PARI (le père)
A MARI (la mère)
Beaucoup de noms masculins se terminent par UN, IN, O